Interview avec Mariano Chicho Frumboli I

Fonte: http://fabrice.hatem.free.fr/index.php?option=com_content&task=view&id=888&Itemid=46

29-06-2006

Editeur : La Salida n°49 juin-septembre 2006

Auteur : Fabrice Hatem

La recherche de l'essence, entretien avec Chicho Frumboli

Installé depuis 8 ans à Paris, Chicho Frumboli est devenu une référence pour toute une génération de jeunes danseurs désireux de renouveler l'esthétique du tango. Il accepté de nous faire part de ses analyses sur les tendances actuelles du tango et sur les critères de la beauté dans la danse.

Qu'est ce qui fait qu'une danse va paraître belle ?

Le tango a eu plusieurs époques, avec chacune une beauté différente qu'il est difficile de comparer entre elles. Cela fait 12 ans que je danse, et pendant ce temps, le tango a beaucoup changé. Il s'était caché et il est revenu avec une nouvelle musique, une nouvelle danse. Ce qui m'a attiré lorsque j'ai commencé, c'était le sentiment d'harmonie entre deux personnes et, en même temps, la concentration et la transmission de l'un à l'autre. Je regardais beaucoup les visages, je ne comprenais pas ce qui se passait.

Plus encore que la beauté, ce qui est important pour moi, c'est l'essence. Trouver l'essence, c'est trouver la beauté. Je la trouve chez des vieux milongueros, dans quelques milongas à Buenos Aires, en dehors des circuits normaux de tango. Elle continue à être un peu cachée. Je ne cherche pas l'esthétique, je cherche à trouver cette essence dans mon propre corps et dans le corps de l'autre, et c'est dans cette transmission que l'on peut trouver la beauté.

Ce qui est voulu, artificiel, ne me touche pas. Dans la milonga, les gens dansent pour danser, pour se divertir, pas pour se montrer. Souvent les professionnels vont avoir une recherche plus esthétique, artificielle, au lieu de montrer la danse dans sa vérité. Dans un bon spectacle de danse, on voit une totalité, mais dans un spectacle de tango, j'ai souvent l'impression que les couples se montrent eux-mêmes, en démonstration, plutôt que de montrer la danse.

Quand j'ai commencé j'ai vu des choses touchantes, mais cette passion essentielle à l'intérieur de la danse a un peu disparu.. Aujourd'hui, on est plutôt dans la surface, Tout le monde est à la recherche d'une esthétique artificielle, et pas de l'essence, de la vérité. Les gens qui dansent maintenant cherchent à se montrer eux-mêmes plutôt que de montrer la danse.

En même temps, on est dans un moment de transition, de recherche, pour aller vers un endroit inconnu. Bien sur, cela va donner quelque chose d'intéressant, cette explosion après tant d'années ou le tango était caché. D'ici 5 ou 6 ans, on va arriver à quelque chose de très fort.

Qu'est qu'un spectacle de tango idéal ?

Je viens du théâtre, où j'ai été 8 ans comédien à Buenos Aires. J'étais toujours en relation avec les arts, la musique, le théâtre, et la question esthétique est donc importante pour moi. Un spectacle idéal est celui ou l'on trouve un groupe de gens soudés, qui dansent ensemble, non des individualités égocentriques. Où l'on montre vraiment la danse dans son expression maximale, sans limites, pour dire quelque chose. L'art doit arriver au public non parce que je suis Chicho, mais parce qu'on le fait tous ensemble. Il doit parler de choses contemporaines, quotidiennes, pas de clichés comme le conventillo, la prostituée et tout cela. Les spectacles de tango sont souvent un peu vide, manquent de vérité, avec des scénarios un peu stéréotypés, sans véritable nouveauté. Moi, je suis à la recherche de création, de nouveauté, mais c'est difficile. Il faut changer la vison, arrêter de toujours tourner autour de la même histoire. Avec le spectacle Valser, Catherine Berbessou a utilisé la danse pour dire quelque chose, et a fait un spectacle qui me plaît. C'est la première fois que j'ai dansé un tango vraiment différent.

Piazzolla, même s'il était un monstre par certains côtés, était un maître, un génie. Il avait une idée, une essence, et il a continué dans ce chemin. Cela manque un peu au tango, des gens focalisés sur l'intérieur. Si ce que tu donnes est vrai, cela arrivera de toutes façons au public. Pour moi, un spectacle de tango devrait être proche de cette essence Mais il est difficile d'y parvenir. Je travaille dans cette voie, pour associer tango et théâtre, mais il est difficile de trouver des gens qui possèdent cette essence, des danseurs capables aussi de jouer comme comédiens.

Le tango à Buenos Aires, c'est toute la nuit. Les milonga durent toute la nuit jusqu'à 7 heures du matin. Il s'y passe des choses lourdes, l'alcool, la drogue, plein de choses que ne montrent pas les spectacles de tango. Dans un spectacle de théâtre, on peut se permettre de montrer beaucoup plus de choses. Pour moi il est important de montrer tout le monde du tango, tout ce qui arrive la nuit, avec ces gens dont on ne sait pas ce qu'ils vont faire le lendemain. Il y a aussi la solitude Et c'est cette solitude qui amène l'idée d'être quelqu'un, l'égocentrisme. Tout cela s'enchaîne.

Quant je suis arrivé à Paris il y six ans, j'étais comme poussé hors de Buenos Aires par ma façon de danser, qui n'était pas acceptée à l'époque. Alors, je suis venu en Europe, ou je me sentais plus libre pour danser, parler, et pendant 8 ans j'y ai développé ma danse. Mais même si j'ai fait des choses un peu folles, si j'ai créé des formes différentes, je restais dans l'essence du tango. Mais ici, il existe un sorte de style européen, qui ne s'inscrit pas vraiment dans ce qui a été porté par l'histoire du tango, qui manque de modèle parce qu'il n'a pas été en contact avec la dernière génération qui pouvait transmettre. En Europe, le tango est dansé par des gens aisés. A Buenos aires, il est dansée par tous les niveaux de la société, ce qui provoque des mélanges bizarres : un chauffeur de taxi danse avec une très belle fille, un fauché avec un riche, etc. et après, ils se séparent...

Tes conseils pour mieux danser ?

ll faut regarder beaucoup pour apprendre. Quand j'ai commencé à danser, dans la milonga d'Almagro, je suis resté 5 mois à regarder avant d'avoir le courage de commencer à danser. Il y avait tant de codes que je ne maîtrisais pas !

En France, le problème c'est qu'il n'y a pas tellement de modèle. Le plus essentiel, c'est d'être avec l'autre quand on danse. On n'est pas tout seul. Il faut lui témoigner de l'attention, du respect. En même temps, prendre son temps, ne pas se presser, respirer à chaque fois, ne pas aller plus loin que ce que l'on peut faire. C'est une danse sociale très forte, pleine d'émotions, de sentiments.